Les arrêts favorables aux entreprises en la matière sont rares. Le 15 mars 2019, la cour d’appel de Paris a jugé que les frais de soirées d’équipe organisées par l’employeur peuvent constituer des frais d’entreprise exonérés de cotisations sociales. Elle a également considéré que la prise en charge par l’entreprise des frais de crèche de ses salariés peut être exclue en totalité de l’assiette des cotisations. Reste à savoir si cette décision, obtenue par Me Delphine PANNETIER, Avocat du barreau des Hauts-de-Seine, sera confirmée par la Cour de cassation si elle est saisie de l’affaire, ce qui est probable compte tenu des sommes en jeu.
Frais professionnels, frais d’entreprise : rappels
Les frais professionnels correspondent à des frais que le salarié a engagés, non pour convenance personnelle, mais pour accomplir sa mission. Ils doivent lui être remboursés par l’entreprise (au réel ou sous forme d’allocations forfaitaires) et sont exclus de l’assiette des cotisations de sécurité sociale (arrêté du 10 décembre 2002, JO du 27).
Les frais d’entreprise sont aussi exonérés de cotisations et contributions sociales. Ni avantages en nature ni frais professionnels, ils relèvent de l’activité de l’entreprise et ne sont pas liés à l’exercice de la profession du salarié. Définis uniquement par circulaire (circ. DSS/SDFSS/5B 2003-7 du 7 janvier 2003), ils doivent présenter un caractère exceptionnel, être engagés dans l’intérêt de l’entreprise et être exposés en dehors de l’exercice normal de l’activité du salarié. Il faut en outre que les dépenses engagées soient justifiées par :
- l’accomplissement des obligations légales ou conventionnelles de l’entreprise,
- la mise en œuvre des techniques de direction, d’organisation ou de gestion de l’entreprise,
- le développement de la politique commerciale de l’entreprise.
Le contexte de l’affaire
Dans une affaire jugée le 15 mars 2019 par la cour d’appel de Paris, à la suite d’un contrôle URSSAF, une grande entreprise d’ameublement avait fait l’objet d’un redressement important (plus de 500 000 € avec les majorations de retard).
Ce redressement était basé, pour l’essentiel, sur la réintégration dans l’assiette des cotisations sociales d’un certain nombre d’indemnités ou de frais pris en charge par la société, au motif qu’ils constituaient des compléments de salaires, et non pas des frais professionnels ou des frais d’entreprise comme le faisait valoir la société.
Étaient notamment concernés le financement de soirées d’équipe organisées par l’entreprise et la prise en charge par cette dernière de frais de crèche au bénéfice de ses salariés.
Exonération des frais de soirées d’équipe au titre des frais d’entreprise
Trois fois par an, chaque magasin de l’entreprise organisait, par service (administratif, RH, …), des « soirées de rencontres » auxquelles étaient conviés les collaborateurs (sans leur conjoint).
Ces soirées, non obligatoires, se déroulaient en semaine, en dehors du temps de travail, et consistaient en des repas au restaurant, ou bien en des soirées bowling ou karting. L’entreprise prenait en charge directement 30 € par collaborateur, les éventuels excédents étant payés par les salariés.
Pour l’URSSAF, contrairement à ce que prétendait l’entreprise, ces dépenses ne constituaient pas des frais d’entreprise exonérés de cotisations et de contributions dans la mesure où les conditions posées par la circulaire du 7 janvier 2003 n’étaient pas toutes réunies. En particulier, le caractère exceptionnel des frais, c’est-à-dire irrégulier, n’était pas respecté et ces dépenses ne relevaient pas de l’activité même de l’entreprise.
Ces frais, qui ne constituaient pas non plus des frais professionnels dans la mesure où ils étaient engagés en dehors de toute sujétion particulière et de toute situation de déplacement, devaient donc, selon l’organisme de recouvrement, être réintégrés dans l’assiette des cotisations sociales.
Mais la cour d’appel a, comme les premiers juges, rejeté le raisonnement de l’URSSAF.
Selon elle, le caractère exceptionnel « n’induit pas forcément une irrégularité ». Elle ajoute que ces soirées, dont étaient exclus les conjoints, étaient manifestement un moment d’échanges permettant de renforcer la cohésion des collaborateurs au sein d’un même service et favorisant une réflexion sur leurs méthodes de travail, et ce même si aucun thème de discussion de travail n’était préalablement déterminé, même si aucun retour n’était exigé à l’issue de ces soirées et même si le fait de ne pas y participer n’était assorti d’aucune sanction.
Il en résulte, selon les magistrats, que ces soirées étaient justifiées par la mise en œuvre des techniques de direction, d’organisation ou de gestion de l’entreprise, et le développement de sa politique commerciale.
Par conséquent, la prise en charge par l’entreprise de ces frais de soirées devait être considérée comme des frais d’entreprise exclus de l’assiette des cotisations sociales.
Rappelons enfin que les principes ici posés n’engagent que la cour d’appel de Paris. Reste à savoir ce que décidera la Cour de cassation, qui a de grande chance d’être saisie au regard des sommes en jeu.
CA Paris 15 mars 2019, 12e ch., pôle 6, n° RG 15/02659